VINCENT FONVIEILLE
Qui êtes-vous ? Que faites-vous ?
Je m’appelle Vincent Fonvieille, j’ai 64 ans, je vis à Arrens-Marsous, petit village des Hautes-Pyrénées où j’ai créé La Balaguère il y a 35 ans.
Je suis depuis toujours passionné de montagnes et de randonnées, été comme hiver. C’est cette passion, et le principe de partager cette passion qui a été le point de départ de l’entreprise : La Balaguère. J’en ai une autre, qui est liée à la première, c’est celle des voyages, de la découverte d’autres montagnes et d’autres espaces de nature, d’évasion et d’aventures… et enfin et surtout j’ai la passion des gens, des autres, de la rencontre et du partage. Je suis persuadé d’ailleurs que c’est la base de notre métier que de vouloir communiquer sa passion du voyage, et pour moi, de la montagne.
J’ai quitté La Balaguère en décembre 2019 et laissé à l’équipe en place le soin de poursuivre de chemin au sein du groupe UCPA. Je n'ai donc plus de rôle opérationnel, mais je suis toujours mandaté pour représenter l'entreprise dans différentes institutions... dont ATR.
La Balaguère est un TO spécialisé dans la randonnée et le voyage à pied. Implantée dans les Pyrénées, elle est spécialiste et leader de la randonnée dans les Pyrénées, cette activité représentant à peu près la moitié de l’ensemble des activités de l’entreprise. L’autre moitié consiste en l’organisation de voyages à pied dans différentes parties du monde.
Après avoir été un grand acteur des destinations sahariennes, jusqu’en 2008, les destinations majeures aujourd’hui sont le bassin méditerranéen, les îles atlantiques, …
Très ancrée dans les Pyrénées, fortement attachée à son territoire, La Balaguère compte aujourd’hui une cinquantaine de collaborateurs. Depuis décembre 2017, l’actionnaire majoritaire est le groupe associatif UCPA.
L’engagement dans un tourisme plus responsable, et dans ATR en particulier, fait partie des fondements de l’entreprise.
Pourquoi avoir adhéré à ATR ?
La Balaguère a activement participé à la réflexion et au long travail collectif qui a conduit à la création d’ATR en 2004. Nous étions une petite dizaine de TO d’aventure portés par des valeurs communes de respect de l’environnement mais aussi et surtout de respect et de solidarité envers les populations des pays du “Sud”, qui étaient nos destinations principales (le Sahara en particulier). Et à une époque où n’importe qui se revendiquait responsable, durable, équitable, “eco-acteur d’un éco-tourisme“ etc…, nous avons voulu montrer ce que signifiait pour nous d’être véritablement engagé dans une démarche collective, harmonisée, pour un tourisme plus responsable, plus citoyen, plus équitable et plus solidaire. Nous avions instauré un système de contrôle externe pour prouver que nos engagements étaient tenus.
C’est ce qui nous a conduit à créer le label ATR (qui était au départ une certification).
Que représente pour vous le tourisme responsable (en général) ?
C’est un engagement.
A plusieurs niveaux, humain, social, environnemental, et sociétal.
Humain parce que c’est l’engagement d’un homme ou d’une femme, qui représente une entreprise, et donc une équipe. Et que cet engagement vise à plus de respect de l’être humain en général : les partenaires dans les destinations, les collaborateurs, les clients.
Vis à vis de nos partenaires d’abord, c’est l’engagement de transmettre, partager nos valeurs, former nos équipes sur le terrain, modifier nos pratiques…
C’est également un engagement social, pour créer des conditions de travail correctes, décentes, bien meilleures que ne l’exigent les lois de nombreuses destinations que nous programmons.
C’est un engagement de solidarité, de partage équitable de la valeur ajoutée avec toute la chaîne des acteurs…
Vis à vis des clients c’est essentiellement un engagement de transparence, mais aussi d’explication, d’information, de formation, de pédagogie.
Vis à vis de nos collaborateurs, de notre propre organisation, c’est un engagement de cohérence : s’obliger aux mêmes règles et aux mêmes efforts que l’on demande à nos partenaires.
Et bien entendu, un engagement environnemental, vis-à-vis de la planète, à participer activement à réduire au maximum notre impact sur l’environnement.
Enfin sociétal, parce que je pense personnellement que l’entreprise a (plus que jamais) un rôle à jouer dans la société, vis à vis des grands enjeux de ce monde, économiques, mais aussi écologiques, climatiques, sociaux, sanitaires, alimentaires, cela fait partie de la responsabilité de l’entreprise, d’assumer ce rôle auprès des autres grands acteurs que sont les dirigeants politiques d’une part, et les citoyens de l’autre. En effet, l’entreprise, les acteurs économiques, dans leurs activités, leurs pratiques, avec leurs effets de levier, leurs forces d’entraînement peuvent déployer une puissance phénoménale et atteindre des objectifs que jamais les dirigeants seuls n’atteindront.
Le label ATR n’est que la formalisation de ces engagements.
C’est un point indispensable, car le principe du label est le contrôle que les engagements sont bien tenus, en confiant ce contrôle à un tiers, en l’occurrence pour nous Ecocert. Il y va de la crédibilité du système.
Le label ATR nous a permis de progresser. D’abord collectivement, car nous avons décidé ensemble du choix des critères retenus, pour apprécier au mieux ces engagements, et le degré d’exigence pour chacun des critères.
Cela nous a permis également de progresser individuellement, au sein de chaque entreprise, en appliquant les principes de la démarche qualité au tourisme responsable.
En fait, nous nous sommes rendus compte qu’il y avait une marge importante entre l’intention de départ, la volonté de bien faire, et les faits, les résultats effectifs sur le terrain. Donc beaucoup d’humilité…
Enfin, le label ATR nous incite à entrer dans une démarche de progrès, on met la barre un peu plus haute chaque année…
Mais au-delà de cela, ATR est un regroupement dynamique, en prise avec son environnement, et qui doit s’adapter continuellement aux exigences du métier, des clients, de l’actualité, des grands enjeux d’aujourd’hui.
Par exemple, au démarrage, nous ne parlions pas de réchauffement climatique, il n’y avait aucune exigence en la matière dans le label. Ce n’est que depuis 3 ans que l’on a introduit l’obligation de réaliser un bilan carbone, et de se doter d’un plan de réduction des GES et de compensation carbone.
Actuellement, le label ATR n’est pas assez exigeant en matière de « réduction de GES », je sais que ça n’est pas facile, mais il faut absolument s’engager dans cette voie.
Nous travaillons actuellement sur les déchets et sur notre impact sur la biodiversité… J’espère que nous pourrons rapidement « enrichir » notre label d’exigences dans ces domaines…
Comment agir pour un tourisme responsable ?
Chez la Balaguère, nous avons plusieurs bonnes pratiques :
Nous avons décidé de ne plus programmer les séjours de notre gamme d’Escapade (4-5 jours) en Europe qui utilisaient l’avion
Nous encourageons le co-voiturage grâce à une mise en relation de nos clients avant inscription
Nous l’encourageons également en interne en mettant un minibus à disposition de nos salariés
Personnellement, j’ai décidé de ne plus prendre l’avion pour mes déplacements en France, je roule localement en véhicule hybride, en vélo, j’ai revu mon régime alimentaire…
Et surtout, je m’implique localement (dans les Pyrénées) pour essayer de faire évoluer les mentalités, pour faire de la pédagogie, pour initier au sein des structures dans lesquelles je suis investi des comportements plus responsables, pour introduire des projets d’aménagement locaux ou régionaux durables…
Il est impératif que le tourisme de demain soit plus respectueux, de la Nature et de l’Homme
Tout ce qui est préjudiciable à la Nature doit être analysé, estimé et repensé, avec de nouvelles donnes :
Les émissions de GES : il faut arriver à réduire nos émissions, c’est indispensable, et il faut compenser tout ce que nous ne pourrons pas réduire
Nous devons réduire au maximum tous nos déchets, et entrer dans des logiques de recyclage
Il faut absolument proscrire le plastique
Tout ce qui a un impact négatif sur la biodiversité doit être arrêté.
Il me semble évident que toute massification, concentration de touristes a des effets négatifs sur l’environnement. À l’exception peut-être de la mutualisation des pollutions liées au transport…
Il faut donc déconcentrer l’activité touristique, notamment dans la conception des hébergements, qui devront eux aussi améliorer leurs pratiques, notamment vis à vis des déchets, où les marges de progression sont énormes.
Il faut donner plus de place à la rencontre, aux échanges humains, donner du sens au voyage. Comme je l’ai dit, il faut déconcentrer, démassifier, pour se préoccuper de l’individu, de l’être humain. Aller vers la personnalisation…
Dans les destinations, il me semble important de donner plus de place à tous nos partenaires, à la fois en visibilité, en valeur ajoutée, en échanges humains.
D’après-vous, quelles vont être les conséquences du Covid 19 ? Sur la profession ? Sur le monde du tourisme et des TO ?
Difficile exercice…
Il faut distinguer le court terme (en espérant qu’il soit court), c’est à dire la reprise… dont je ne parlerai pas ici, du long terme, et de toutes les transformations que ce Covid va nous obliger à accélérer…
Pour le court terme, j’espère simplement que la crise ne laissera pas trop de monde sur le carreau, et qu’elle permettra à tous les autres de préserver de l’énergie, des moyens, et du temps pour préparer et changer l’avenir.
Pour le long terme, j‘espère bien que la crise sanitaire va nous permettre précisément d’opérer ces transformations dont je parle plus haut, et qui je pense sont indispensables à la survie de la profession : plus de respect de l’environnement, plus de respect de l’être humain, plus d’authenticité, moins de paraître…
Notre activité est déjà largement inspirée par les orientations que j’ai citées plus haut.
Une des questions posées est celle des voyages en groupe. Bien qu’il s’agisse de petits groupes, les échanges, les contacts entre participants, parfois les effusions car les émotions partagées peuvent être fortes, tout cela fait partie intégrante, tout ce qui fait tout l’intérêt de ce genre de voyages.
Sans cette spontanéité, nos voyages risquent fort d’être fortement dénaturés… Il faut espérer que des solutions de traitement de la maladie, vaccin ou autres, ne tardent pas trop…
Du coup, les voyages individuels (en liberté) seront peut-être privilégiés…
D’une façon globale, pendant toute la période post-Covid, nous allons nous concentrer sur la destination France, car nous avons la chance d’avoir la moitié de notre activité dans les Pyrénées surtout, mais sur le reste du territoire également.
Sinon, à plus long terme, vis à vis de nos émissions de GES, nous avons commencé à réfléchir sur des randonnées/voyages sans transport, en utilisant des animaux de bât en France (dans les Pyrénées).
À suivre…
Le voyage et vous
Quel est votre meilleur souvenir de voyage ? (Une émotion, une sensation, une rencontre ?)
C’est difficile de choisir parmi des souvenirs de voyages. Il y en a tellement…
Ce sont surtout des rencontres, souvent imprévues, improbables, dont je garde les images les plus fortes, des émotions uniques… Il me vient en mémoire une soirée unique de partage silencieux dans un monastère de la Tsum Valley avec une nonne bouddhiste au sourire édenté… Mais aussi des moments de contemplation magique… Par exemple, les rives du fleuves Niger le soir à Mopti, quand les troupeaux traversent le fleuve…
Important, pour tous ces moments auxquels je pense spontanément, je voyageais seul…
Quel est votre voyage de vos rêves ou votre prochain voyage ?
Je ne sais pas où ce sera, difficile à dire par les temps qui courent. Mais ce sera seul, ou en couple, dans ce modèle très simple d’une rencontre intime avec un pays ou une région grâce (par exemple) à la formule propre à La Balaguère, “Village ways”… un voyageur à la rencontre d’un village et de ses habitants loin de toute zone touristique…
Ma photo de voyage : Rencontre avec des femmes Masaï qui rentraient à leur village près du Lac Natron, Tanzanie – Août